Depuis plus de 40 ans, on assiste à une délocalisation de productions : les multinationales à la recherche d’une main-d’œuvre docile et peu coûteuse vont chercher du côté du salariat féminin des pays les plus pauvres. Si ce phénomène a permis l’entrée de femmes dans la vie active, cela ne s’est pas accompagné, la plupart du temps, d’une sortie de la pauvreté, tant les salaires sont bas, ni d’une amélioration de leurs conditions de vie, comme l’a illustré dramatiquement l’accident du Rana Plaza au Bengladesh. En parallèle, depuis 15 ans, fuyant misère et guerres, les femmes immigrent dans des pays où elles pensent trouver l’eldorado : elles se retrouvent embauchées dans les emplois les plus pénibles, les plus précaires et les moins bien payés. Femmes et étrangères, c’est la double peine !
Mais ces situations dramatiques ne doivent pas nous faire oublier qu’ici aussi, en France, les femmes sont discriminées et pénalisées : elles occupent 80% des emplois pauvres et précaires, elles bénéficient d’une pension de retraite de 42% inférieures à celles des hommes et en tant qu’usagères et principales main-d’œuvre des services publics, elles subissent de plein fouet les politiques d’austérité, qui engendrent de plus en plus d’austérité. La récente mobilisation des AVS sur notre département l’a parfaitement montré : avec des salaires en-dessous du seuil de pauvreté, elles se retrouvent, au mieux ?, dans des situations de dépendance de leur conjoint-e … ou de leurs parents, et ce à plus de 50 ans !
La précarité dans le monde du travail est une des violences subies par les femmes. Qu’est-ce que la précarité ? C’est l’absence d’une ou plusieurs sécurités concernant l’emploi ou le revenu.
l’emploi précaire (CDD, intérim…) présente peu de garanties sur le maintien de revenus dans un avenir plus ou moins lointain. Mais même lorsqu’on est en CDI, dans un secteur menacé ou dans une entreprise en restructuration, la menace de licenciement pèse quasi-quotidiennement.
les revenus faibles ne permettent pas de se projeter, on vit au jour le jour.
le mode d’organisation du travail est aussi facteur de précarité car les horaires changeants, la modification des secteurs géographiques de travail, les missions s’ajoutant … obligent à s’adapter sans cesse et le travail s’immisce dans la vie privée.
La précarité, d’étape dans le parcours professionnel, devient de plus en plus permanente, c’est un type d’organisation du travail : incertitude de conserver son emploi, discontinuité des périodes d’emploi entrecoupées de périodes de chômage plus ou moins longues, temps partiel imposé. Il y a donc une constance de la précarité, servant de variable d’ajustement au sein de l’entreprise en fonction de ses besoins, mais aussi à faire pression sur les conditions de travail des salarié-es non-précaires.
Les éléments constitutifs de la précarité, temps partiel, faibles revenus, contrats de travail précaires, se retrouvent majoritairement dans l’emploi féminin.
TEMPS DE TRAVAIL PARTIEL
Les femmes sont majoritaires dans les emplois précaires et à temps partiel, emplois qui n’ont cessé d’augmenter depuis 15 ans.
Dans les années 80, se met en place une politique qui prend l’apparence de progrès pour les droits des femmes au travail, notamment avec la loi Roudy sur l’égalité professionnelle d’Y. Roudy. Alors qu’on est dans une période d’augmentation du chômage, la politique de l’emploi favorise le travail à temps partiel, présenté comme un moyen de concilier travail et vie familiale.
Outre le fait qu’il masque une partie du chômage, le travail à temps partiel profite aux entreprises :
de 1992 à 2002, allègement des cotisations patronales recrutant à temps partiel ;
c’est un moyen de transferer sur les salariées les coûts de fluctuation économiques, d’ajuster le travail en temps et en heure aux besoins de l’entreprise en jouant sur le recours aux heures complémentaires, d’éviter de payer des salariées sur des temps morts, notamment dans la grande distribution, la restauration, le nettoyage.
Or, deux de ces secteurs, grande distribution et nettoyage, sont des secteurs très féminisés, dans lesquels l’embauche à temps partiel est devenue la norme sans possibilité d’évolution vers un temps complet. Or, quand on voit la forte amplitude horaire dans ces secteurs, on ne peut que constater qu’elle ne permet pas de concilier vie familiale et travail. Le temps partiel en en fait un outil de flexibilité.
Le taux des emplois à temps partiel s’est multiplié par 2 en 30 ans. Sur l’ensemble des ces emplois, 80 % sont occupés par des femmes. Près d’un tiers (30%) des femmes travaille aujourd’hui à temps partiel, mais seulement 7% des hommes. Ce sont soit des temps partiels imposés, soit « choisis » : du fait de l’inégale répartition des tâches domestiques, d’éducation, de soin, au sein des ménages, les femmes, chez qui le sentiment de manque de temps est plus prégnant, « choisissent » de travailler moins.
Le travail à temps partiel a évidemment une incidence sur les revenus. Le salaire horaire des femmes est inférieur de 15% à celui des hommes, mais l’écart de salaire mensuel avoisine 25% en raison du temps partiel. D’autant qu’il y a une très forte relation entre emploi peu qualifié, temps partiel et bas salaire : nettoyage, services à la personne, commerce sont des secteurs très féminisés. Ainsi dans ce 1er secteur, la moitié des salarié-es sont à temps partiel, le plus souvent 20h sur 5 jours, avec des salaires de moins de 570 € en 2011.
Le développement du temps partiel depuis les années 80 a abouti à une répartition inégale du temps de travail entre hommes et femmes, ce sont les femmes qui le payent, alors que les progrès de la productivité et l’augmentation de la part des profits dans la valeur ajoutée montrent qu’une réduction du temps de travail pour tous et toutes était possible, sans diminution de salaire.
De plus, le temps partiel des femmes a une incidence sur le montant de leur indemnisation au chômage, ce qui grève encore leur revenu.
CHÔMAGE DES FEMMES
Actuellement, 80 % des embauches se font en CDD : 85% pour les femmes, 76% pour les hommes.
Quel effet la crise de 2008 a-t-elle eu ? Dans un 1er temps, les hommes, plus nombreux dans la construction et l’industrie, sont davantage touchés par les licenciements mais rapidement, le taux de chômage des femmes redevient légèrement plus important (+1%) en 2011.
Cette faible différence masque des réalités :
le temps partiel est une forme de sous-emploi (chômage peu visible), la baisse du temps de travail sert de variable d’ajustement au patronat ;
par découragement, certaines ne sont plus inscrites à Pôle Emploi, donc non comptabilisées.
Les femmes sont donc moins touchées par les pertes d’emploi que par l’accroissement du sous-emploi à travers le temps partiel.
A cela s’ajoute un traitement différencié de l’indemnisation : dans l’industrie, la diminution de l’activité est compensée par le chômage technique, avec droit à une indemnisation partielle, alors que l’obligation d’accepter un emploi à temps partiel n’entraîne aucun complément (sauf cas particulier). D’ailleurs, les données montrent que généralement les hommes sont mieux indemnisés que les femmes. Ainsi en 2009, selon Pôle Emploi, 64,1 % des hommes indemnisés pour 56,9 % des femmes. Ce traitement différencié renvoie à la persistance de l’idée selon laquelle le chômage des hommes est plus grave que celui des femmes.
Un exemple de traitement du chômage des femmes : les services à domicile
En 20 ans, l’emploi non-qualifié occupé par les femmes est passé de 56 à 62%. En 2010, 27 % des emplois féminins sont non-qualifiés (14 % pour les hommes).
Or, en période récession, les personnes les plus vulnérables économiquement, majoritairement des femmes, sont encore plus fragilisées, notamment celles confrontées à des discriminations multiples, car jeunes, seniores, mères-célibataires, immigrées, racisées.
Depuis les années 90, forte croissance des emplois domestiques. En 2008 : 400 000 emplois recouvrant des réalités diverses : ménage, garde d’enfants, soutien scolaire, soin aux personnes âgées, handicapées…
Cette croissance s’accompagne de dispositifs pour promouvoir cette activité :
mise en place de l’offre raisonnable d’emploi par Pôle Emploi, du fait de la faible attractivité de ces emplois ;
recours à l’immigration choisie, pour des emplois ne pouvant être délocalisés, par accord entre le ministre chargé de l’immigration et le ministre de l’économie, afin d’orienter les immigré-es vers l’Agence Nationale des Services à la Personne, permettant d’adapter les flux migratoires aux besoins des entreprises.
Or, les caractéristiques de ces emplois sont salaires faibles, temps de travail réduit, sécurité de l’emploi moindre, pénibilité, mépris social. On est donc ici dans une politique qui aggrave les inégalités de race et de genre.
FLEXIBILITÉ
Les femmes représentent plus de 60 % des effectifs du secteur public, secteur dans lequel le passage aux 35h s’est accompagné de peu d’embauches, d’où une dégradation des conditions de travail, avec par exemple, des hôpitaux prêts à craquer.
La situation s’est aggravée avec la suppression des postes dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui en 2012 a atteint le taux record de 61 % de non-remplacement.
Conséquences : intensification du travail et des pressions, flexibilité accrue, stress croissant affectant la santé physique et mentale des fonctionnaires.
De manière générale, des études sur le bilan des 35h montrent qu’elles ont renforcé les inégalités avec la possibilité de modulation/annualisation du temps de travail, avec baisse des revenus du fait qu’il n’y a plus paiement d’heures supplémentaires.
La loi du 14 juin 2013 dite sur la « sécurité de l’emploi » a certes défini un minimum de 24 hebdomadaires pour limiter le temps partiel, mais, non seulement certains secteurs ne sont pas obligés de s‘y conformer, et en échange la loi a permis de flexibiliser et annualiser le temps partiel pour le rendre plus attractif … pour les employeurs.
Quant à la loi Macron sur la croissance économique et l’activité, elle a permis l’extension du travail le dimanche et de nuit, dans le commerce, au risque de précariser encore davantage l’emploi des femmes, majoritaires dans ce secteur. Ainsi, dans la grande distribution, plus de la moitié des salarié-es ont des horaires variables d’une semaine à l’autre, 9/10 travaillent le samedi et le dimanche et 6 jours par semaine depuis l’autorisation d’ouverture le dimanche.
SALAIRE
Parmi les salariés qui ont un bas salaire (inférieurs au 2/3 du salaire médian, soit moins du SMIC), on compte 75 à 80 % des femmes, travailleuses pauvres, soit 1/4 des femmes salariées (8 % pour les hommes). En effet, les femmes sont sur-représentées dans les métiers faiblement qualifiés : assistantes maternelles, aides à domicile, aides ménagères, secrétaires, aides soignantes, caissières…
Quelles sont les raisons de ces faibles salaires des femmes ?
les métiers du social, du service à la personne ne sont pas reconnus car considérés comme étant dans le prolongement des tâches domestiques et des soins à la famille. Les compétences que cela exige, polyvalence, écoute, compréhension, patience, gestion des activités, sont considérées comme des qualités naturelles des femmes, donc non-reconnues comme un savoir-faire professionnel. Et pourtant, ce sont des métiers qui répondent à des besoins fondamentaux.
moindre promotion professionnelle du fait du plafond de verre, des charges de famille et de gestion des tâches domestiques, temps partiel…
faible organisation syndicale des secteurs où elles sont majoritaires.
le salaire des femmes, longtemps considéré comme salaire d’appoint, est une tradition historique qui pèse dans les représentations.
temps partiel.
Précarisation, bas salaire, dévalorisation des compétences caractérisent le travail des femmes, et sont donc des obstacles à leur autonomie. L’exemple des AVS (auxiliaire de vie scolaire) l’illustre parfaitement. Emplois socialement utiles puisqu’il s’agit d’accompagner des élèves en difficulté, ils sont occupés à 90 % par des femmes en CDD, qui peuvent être renouvelés chaque année pendant 8 ans. Ce sont en grande majorité des emplois à temps partiel, avec des salaires au-dessous du seuil de pauvreté (590€/680€), sans aucune reconnaissance puisque les AVS ne sont pas formées. Il est vrai qu’accompagner des élèves autistes, dyslexiques, dyspraxiques, avec troubles du comportement…est naturel ! Et cela se passe dans l’éducation nationale. Il s’agit donc de choix politiques qui aggravent les inégalités femmes/hommes.
La précarisation des salarié-es répond à un projet politique : la multiplication des contrats, y compris pour une même mission, tend à mettre les personnels en concurrence, à réduire leur capacité de mobilisation. Cette division éloigne les précaires des syndicats et met au pas l’ensemble des revendications des autres salarié-es, qui ont peur de se retrouver précaires. Les conditions de travail des précaires tirent vers le bas l’ensemble des conditions de travail.
Le système capitaliste utilise les inégalités précaires/non-précaires, de même qu’il utilise les inégalités hommes/femmes, qu’il n’a donc pas intérêt à combattre. Lutter pour une égalité femmes et hommes, lutter contre la précarité, c’est donc lutter pour toutes et tous.
Texte présenté par la commission “Genre” d’Attac, lors d’une table ronde sur les violences faites aux femmes, en novembre 2015.
Références
LES ÉTUDES DU CONSEIL ÉCONOMIQUE,SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL, Femmes et précarité, Éveline Duhamel, Henri Joyeux, Février 2013
ATTAC/Fondation Copernic, sous la direction de C. Marty, Le féminisme pour changer la société, 2013
FX Devetter, S. Rousseau, Du balai, essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, 2011