L’annonce dans le projet de budget de la Sécurité Sociale d’un forfait de 18 euros à la charge des patients pour tout acte médical de 91 euros et plus, ainsi que la hausse du Forfait hospitalier, confirment ce que le Collectif de défense de la Sécurité Sociale 31 écrivait dans un tract au moment de la mise en place de la procédure du « Médecin traitant » :

« Lorsqu’il sera évident que cette loi ne génère pas d’économies, les masques tomberont ! Le ministre mettra en action un mécanisme qu’il a soigneusement préparé en dehors de toute déclaration publique. Un comité d’alerte a été mis en place pour veiller à ce que la croissance des dépenses de santé ne dépasse pas le pourcentage prévu dans le budget : 3,2% cette année. Si cette croissance, comme c’est à prévoir, atteint 5 ou 6%, le comité d’alerte proposera des mesures de réduction de remboursements. Ainsi, d’année en année, sans bruit, sans débat, sans qu’il soit besoin d’une loi, la couverture maladie solidaire se rétrécira comme peau de chagrin, ne laissant comme alternative qu’un glissement vers l’assurance complémentaire dont les tarifs suivront bien sûr le mouvement. C’est le but réel de l’opération. Une médecine à deux vitesses se met en place ! ».


Philippe Douste Blazy l’avait lui-même annoncé dans la présentation de son projet de réforme à l’émission « Cent minutes pour convaincre ». Il voulait, disait-il la main sur le cœur, tout faire pour sauver ce bien précieux de notre patrimoine social qu’était la Sécurité sociale solidaire, mais s’il échouait, si les français ne voulaient pas changer leurs comportements ( les français dont les comportement irresponsables étaient à la source de ce déficit abyssal que l’on ne pouvait supporter plus longtemps ), il serait obligé d’imposer des forfaits importants de 100, 200, 300 euros annuels, ce qui ouvrirait la porte à l’assurance privée.

Nous y sommes ! Là est le véritable objectif de la réforme : le passage progressif à l’assurance privée sur le mode américain. Nous n’en sommes qu’au début.. Le forfait de 18 euros n’est qu’un premier pas ou plutôt c’est un élément de plus dans le dispositif qui conduit, de façon insidieuse vers la privatisation de l’Assurance Maladie.

Cette année, le gouvernement n’a pas encore fait intervenir le comité d’alerte. La croissance des dépenses de santé à 3,2% reste un objectif qu’il prétend atteindre en fin d’année 2005, avec la prévision de réduire à 8,3 milliards d’euros le déficit de l’Assurance maladie qui était de 12,3 milliards en 2004. En réalité, personne n’y croit, le gouvernement pas plus que les autres puisqu’il repousse à 2009 (après les élections présidentielles) le retour à l’équilibre, initialement annoncé pour 2007. En attendant, il prend les devants pour le budget de 2006 en annonçant en catimini deux mesures de réduction des prestations : le forfait de 18 euros et la hausse du forfait hospitalier. mais ce qu’il faut bien voir c’est que toute la politique va dans le sens de la réduction des prestations et fait porter aux patients le poids de ces économies.

C’est bien là qu’apparaît le sens de la réforme et de la politique menée par ce gouvernement : Réduire, non les dépenses de santé, mais leur remboursement et faire porter aux assurés sociaux le poids des économies à réaliser. Pierre Volovitch, chercheur à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales le montre dans son commentaire du projet de « maîtrise médicalisée », dont se glorifie le ministre, un projet purement comptable de réduction des prestations :

  • Réduction du nombre de personnes prises en charge à 100% pour des Affection de longue durée ( 455 millions d’économie prévus ).
  • 161 millions d’économies à réaliser sur les remboursements des statines (médicaments pour les maladies cardio-vasculaires).
  • 150 millions à économiser sur les prescriptions d’arrêts de travail.

Il s’agit à tout prix de réduire les prestations de soins. La réduction catastrophiques des budgets hospitaliers va dans le même sens. Cette année, l’enveloppe budgétaire ne progresse que de 3,6%, alors que les besoins minimaux évoluent sur un rythme de 5%, ce qui rend intenable la situation des établissements.

La franchise à 18 euros, un petit pas de plus vers le transfert des prestations au secteur privé s’inscrit dans cette logique. Ne vous inquiétez pas dit le ministre, ce forfait sera pris en charge par les complémentaires. Bien sûr, disent les complémentaires, mais il nous faudra augmenter nos primes. Quant à ceux qui n’ont pas de quoi se payer une complémentaire, ils se passeront de soins.

Ce qu’il faut bien voir c’est que cette réforme, injuste et inégalitaire, est incapable d’atteindre les objectifs annoncés de réduction des déficits. Chacun peut voir que les mesures mises en œuvre ou annoncées : médecin traitant, dossier médical personnalisé, chasse à la fraude aux arrêts maladie, sont totalement incapables de résorber le déficit et cela pour plusieurs raisons :

1.Cette « réforme » ne s’attaque aucunement aux véritables causes d’un déficit artificiellement construit. Ces cause sont connues .

La première et la principale cause du déficit, c’est l’assèchement des ressources de l’Assurance maladie.

En premier lieu par une prétendue politique de l’emploi fondée uniquement sur des cadeaux faits aux entreprises afin de réduire le coût du travail en conformité avec l’idéologie libérale dominante ; pour être compétitifs, il faut réduire de façon drastique le coût du travail. Pour réduire ce coût et inciter les entreprises à embaucher, on les exonère des cotisations sociales patronales. Martine Aubry avait commencé pour soutenir le passage aux 35 heures. Le gouvernement Raffarin est passé à la vitesse supérieure en multipliant les exonérations sur les bas salaires. Maintenant, à la suite de la loi Fillon, qui exonère de façon dégressive les bas salaires jusqu’à 1,5 Smic ou même plus, ces exonérations sont complètement déconnectées des 35 heures et sans aucune obligation d’embauche. Il y a aussi les misérables « contrats d’avenir » de Jean Louis Borloo où l’employeur, non content d’empocher le RMI de son salarié, est dispensé de verser des cotisations sociales. Enfin le « contrat nouvelle embauche » de Villepin doit également être exonéré. Quant aux zones franches installées dans les quartiers dits sensibles, elles permettent aux entrepreneurs qui s’y installent d’être exonérés d’impôts et de charges sociales pendant 5 ans à la seule condition d’embaucher le tiers de leur personnel dans la zone.

Les employeurs profitent de ces effets d’aubaine mais ils n’embauchent pas plus pour autant. En attendant, les exonérations privent la Sécurité sociale de sommes considérables. Au moment du vote de la loi, le montant des exonérations était estimé à 20 milliards d’euros. Aujourd’hui avec les mesures que je viens de mentionner, c’est certainement plus. Certes, une loi oblige l’Etat à compenser ces exonérations, ce qui revient à faire payer par le contribuable la part de salaire mutualisé que les employeurs doivent aux salariés. Mais l’Etat ne compense pas tout, loin de là. Le Rapport de la Cour des comptes pour l’année 2004, qui vient de sortir au mois de septembre 2005, estime à plus de 3 milliards d’euros le montant des « mesures pour l’emploi » non remboursées à la Sécurité sociale. Pour le « contrat d’avenir » dont nous venons de parler, il est dit clairement que l’Etat n’a pas l’intention de compenser l’exonération de cotisations patronales. Le manque à gagner pour la Sécurité Sociale qui résulte de ce refus est estimé à 250 millions d’euros en 2005, à 800 millions en 2006. Globalement, le total des allègements non compensés a représenté 24 milliards d’euros sur la période 1994 – 2004 ( Cfr « Politis » n° 872 : « La fabrique du déficit » ).

L’Etat ne s’arrête pas là dans ses mauvais procédés. En tant qu’employeur, il est également mauvais contributeur. La Cour des comptes déplore que l’assiette des cotisations des employeurs publics ne soit pas alignée sur le droit commun du régime général, en particulier pour ce qui concerne les agents publics occasionnels ou exerçant des activités diverses. Il déplore également qu’une refonte de la présentation du budget rende très difficile les vérifications sur le versement des cotisations et contributions dues par l’Etat employeur. Il estime qu’en 2003, le Régime général a subi une perte de 3 milliards d’euros pour l’ensemble des fonctionnaires, dont 2 milliards du fait de l’Etat.

Ajoutons à cela un détournement de taxes sur le tabac, l’alcool, les primes d’assurance automobile, les industries polluantes… instituées pour couvrir les dépenses de santé occasionnées par ces produits ou ces activités et dont une partie seulement est affectée à la Sécurité sociale, le reste atterrissant dans les caisses de l’Etat. Le manque a gagner pour la Sécurité sociale a été estimé par le Canard enchaîné à 13,5 milliards d’euros. Douste Blazy, interpellé à ce sujet par Ségolène Royal au cours de l’émission 100 minutes pour convaincre a eu cette réponse désarmante : Si l’Etat est privé de cet argent, où voulez-vous qu’il trouve l’équivalent ? En d’autres termes, si j’ai pris de l’argent dans ta poche et que tu me demandes de te le rendre, çela va me manquer ! Douste avait promis à l’époque d’obtenir que Sarkozy, alors ministre des finances, fasse un geste et débloque un milliard d’euros. On n’en a plus entendu parler.

Quoi d’autre ? Tout simplement une fraude sur les accidents de travail et les maladies professionnelles qui ne relèvent pas de la branche Assurance Maladie mais d’une autre branche de la Sécurité Sociale, alimentée, comme il se doit, par des cotisations versées par les entreprises. Les entreprises répugnant à reconnaître les accidents de travail et les maladies professionnelles, la plupart de ceux-ci sont pris en charge par l’Assurance maladie qui paie, de ce fait, des prestations indues estimées à 15 milliards d’euros.

Sans aller jusqu’à mentionner cette somme, la Cour des comptes dénonce cette situation. Cette sous-déclaration des accidents de travail et des maladies professionnelles est tellement connue que la branche de la Sécurité sociale qui devrait les prendre en charge verse à l’Assurance maladie une compensation de 330 millions d’euros. Cette compensation est tout à fait insuffisante, selon la Cour des comptes qui estime déjà à 300 millions d’euros la charge de cette sous-imputation pour les seules dépenses d’hospitalisation. Pour remédier à cette carence, la Cour des comptes a fait des recommandations en 2002. Certaines ont eu un début de mise en œuvre, mais la recommandation principale visant à assurer la reconnaissance de l’origine professionnelle des risques, à savoir la réforme du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, n’est toujours pas suivie d’effet.

Trois milliards, plus trois milliards, plus treize milliards et demi, plus quinze milliards et d’autres choses encore, cela permettrait de combler plusieurs fois le trou de la Sécurité sociale, mais il reste à dire l’essentiel : l’effondrement des cotisations est dû, d’une part à l’absence totale d’une véritable politique de l’emploi ( impensable dans le cadre d’une idéologie ultra-libérale où l’Etat est privé des moyens monétaires et budgétaires de régulation de l’économie ), d’autre part ( et c’est toujours l’idéologie libérale qui le commande ) à une baisse constante du niveau des rémunérations. Sur ce dernier point, il faut savoir qu’en 20 ans la part attribuée au travail dans la richesse produite, ce qu’on appelle le PIB, a baissé de 10%. Le PIB de la France c’est 1500 milliards d’euros. La part perdue pour rémunérer le travail s’élève donc à 150 milliards d’euros. Que de cotisations on pourrait prélever là dessus ! La Sécurité sociale n’aurait pas de soucis à se faire !

La seconde cause qui plombe les comptes de l’Assurance maladie, est l’augmentation incontrôlée du prix des médicaments. Le gouvernement se flatte dans ses prévisions pour 2005 de réaliser 700 millions d’euros d’économies grâce à un « Plan médicament » visant, par un deal négocié avec les médecins, à faire baisser la prescription de certains médicaments : statines, antibiotiques, psychotropes et à développer la consommation de génériques. A ce jour les résultats sont contrastés. D’après le Quotidien du médecin du 6 septembre 2005, s’il y a eu une économie de 255 millions d’euros réalisée sur les génériques, les statines, au lieu des 1,5% de baisse espérés ont connu une augmentation de 8,3% au premier semestre de cette année. Les antibiotiques ont été en hausse au premier semestre et les psychotropes ont connu une baisse de 2% au premier semestre pour un objectif de – 10%.

Mais ce plan ne porte aucunement sur le prix des médicaments. « Prescrire », la seule revue indépendante qui informe les médecins sur les médicaments a publié en décembre 2004 un supplément au titre évocateur : « Prix des médicaments : La folle envolée ». L’augmentation des prix ce n’est pas tellement en pharmacie qu’on la constate, c’est à l’hôpital. C’est là que sont fournis les médicaments « innovants » pour lesquels l’industrie pharmaceutique a obtenu en 2003 l’autorisation de fixer librement les prix. En 10 ans, par exemple, les médicaments anticancéreux ont augmenté de 500%. Le Docteur Geneviève Barbier, dans son ouvrage « La société cancérigène », cite le prix insensé d’un de ces médicaments : 2640 euros la boite.

Le parcours coordonné

Revenons maintenant à la réforme et en particulier à la mesure qui est en train d’être mise en route : le médecin traitant et le parcours coordonné. Ce parcours coordonné est une usine à gaz dont l’objectif proclamé est de réduire le déficit de l’Assurance maladie en combattant les gaspillages qui résulteraient du « vagabondage médical », autrement dit, des assurés sociaux qui multiplieraient les consultations, en particulier de spécialistes. Philippe Douste Blazy n’avait pas craint le ridicule en affirmant, au cours de l’émission « 100 minutes pour convaincre » qu’un patient pouvait en une journée subir 30 électrocardiogrammes, réalisés par 30 cardiologues différents et se les faire rembourser, sans problème, par la Sécurité sociale. Cela donne une idée du sérieux avec lequel le ministre a analysé la situation avant de concocter son plan de réforme !

Ici encore, on culpabilise l’usager jugé « irresponsable » au lieu de s’en prendre aux causes réelle du gaspillage : augmentation du prix des médicaments et du matériel médical ; introduction de nouveaux médicaments censés être plus performants chaque fois qu’un brevet, arrivant à son terme, ouvre la porte aux génériques ; marketing agressif de l’industrie pharmaceutique auprès des médecins pour les pousser à prescrire un maximum de médicaments. Les laboratoires dépensent 20000 euros par an et par médecin pour organiser la ronde des visiteurs médicaux, avec des cadeaux et avantages en nature qui frisent la corruption.

Cet usager, pour le « responsabiliser », on va l’encadrer en instaurant un médecin traitant par lequel il devra passer pour aller consulter un autre médecin, qu’il soit spécialiste ou généraliste. Si l’assuré se soustrait à cette obligation, il sera sanctionné financièrement.

Curieusement, aucune estimation n’est faite de l’économie que la Sécurité sociale va faire par la diminution du présumé «nomadisme médical » et, de fait, quand on part sur une fausse piste, le résultat n’est pas au rendez vous. Le parcours coordonné n’engendrera aucune réduction significative du déficit de l’Assurance maladie pour la simple raison que ce n’est pas la multiplication des consultations qui plombe ses comptes. Le nomadisme médical est un phénomène marginal.

Les seules économies prévues et chiffrées sont liées, non pas à l’encadrement des consultations mais à ce projet de « maîtrise médicalisée » dont nous avons vu qu’il consiste essentiellement à réduire :

La prise en charge à 100% des ALD ( affections de longue durée ) : 455 millions d’euros d’économie,
Les prescriptions d’arrêts de travail : 150 millions sd'(euros d’économie,
Le remboursement des statines : 161 millions d’euros d’économie.

Comme le note Pierre Volovitch, cela fait un total de 766 millions qui seront supportés par les patients et en priorité par ceux qui relèvent d’une affection de longue durée.

Comment s’y prend-on pour opérer ce tour de passe passe qui transforme un objectif de réduction de la dépense de santé en un objectif de réduction des remboursements ? Pour le comprendre il faut regarder plus en détail le mécanisme du parcours coordonné, ce qui va mettre en évidence un autre objectif caché : libérer les tarifs des spécialistes, en contradiction totale avec l’existence d’un système de Sécurité sociale.

Puisque le plan prévoit de sanctionner financièrement les assurés sociaux qui consulteraient directement un spécialiste sans passer par le médecin traitant, on aurait pu s’attendre à ce que cette sanction, pour avoir un aspect dissuasif, consiste en un moindre remboursement de la consultation sans compensation possible par une assurance complémentaire. Ce n’est pas le cas. La sanction consiste en une autorisation donnée aux spécialistes de pénaliser les patients en augmentant leurs tarifs en cas de consultation directe. En principe, cette augmentation ne pourrait être remboursée par une assurance complémentaire mais un flou subsiste sur ce point. Certains contrats d’assurance pourraient bien garantir ce remboursement.

Cette étonnante procédure s’est concrétisée dans un accord passé entre l’Assurance Maladie ( dans sa nouvelle forme de « gouvernance » où les syndicats n’ont plus rien à dire et où la totalité des pouvoirs est entre les mains du directeur général représentant du ministre ) et trois syndicats de spécialistes caractérisés par leur idéologie libérale. Ce volumineux accord est accessible sur internet mais, rédigé en un sabir juridico-médical impénétrable, il est incompréhensible pour le citoyen tel que vous et moi et ce n’est pas par hasard car, comme nous en informe Pierre Volovitch, l’accord constitue un « deal » où les médecins sont incités à pratiquer la « maîtrise médicalisée », moyennant quoi la moitié des économies ainsi réalisées leur seront rétrocédées.

On le voit, l’accord répond à la question de savoir comment augmenter les revenus des spécialistes sans que cela coûte plus cher à l’Assurance maladie en en faisant porter le poids aux malades ou aux accidentés les plus fragiles. Les témoignages de médecins montrent que l’application de la « maîtrise médicalisée » fait l’objet d’une pression constante. Il est, en effet, prévu dans l’accord « un suivi paritaire et décentralisé ». Il est décrété qu’au niveau local « la commission paritaire locale recueille tous les éléments d’information auprès des praticiens dont la pratique présente des atypies au regard des engagements conventionnels de maîtrise (et) adresse les mises en garde qu’elle estime nécessaires ». En clair, commente Pierre Volovitch, pour les syndicats signataires, pour des syndicats qui défendent bec et ongle un exercice solitaire de la médecine ( ce qu’ils appellent la médecine libérale ), la seule forme d’action collective c’est la surveillance et le contrôle des collègues trop généreux sur l’arrêt de travail ou sur la prise en charge des Affections de Longue Durée.

Il reste à voir comment, dans la pratique, vont se moduler les augmentations de revenus des spécialistes. Le Syndicat de la Médecine Générale a comparé dans un tableau, placé en annexe de ce texte, les tarifs et remboursements pratiqués avant le protocole d’accord et depuis celui-ci. Dans ce tableau sont comparés également les tarifs et remboursements qui seront pratiqués selon que les patients ( et les spécialistes, car ceux-ci sont libres d’y adhérer ou non ) consulteront dans le cadre du parcours coordonné ou consulteront directement un spécialiste. Dernière variable, qui fait de ce protocole d’accord une véritable usine à gaz, la différence existant entre les spécialistes « de secteur 1 », c’est à dire ceux qui respectent les tarifs de la Sécurité sociale et les spécialistes « de secteur 2 », ceux qui pratiquent habituellement des dépassements.

D’après des statistiques récentes émanant de la CNAM, les spécialistes de secteur 2, toutes spécialités confondues, représentent en moyenne 37,9% de l’ensemble, avec des extrêmes allant de 79,2% pour les chirurgiens à 10,4% pour les radiologues (ceux-ci bénéficiant de tarifs officiels particulièrement élevés). Le taux moyen de dépassement est de 47,2%, avec des extrêmes allant de 60,8% pour les gynécologues à 21,1% pour les radiologues.

Cette complexité des données rend particulièrement difficile la lecture du tableau établi par le SMG. Quelques commentaires en faciliteront la lecture :

  • C signifie : Consultation.
  • C2 désigne une consultation de spécialiste pour un avis unique demandé par le médecin traitant dans le cadre du parcours coordonné. Dans ce cas, le spécialiste ne prescrit pas. Il faut donc retourner voir le médecin traitant. Pour sa part, le spécialiste est autorisé à facturer 40 euros.
  • CS désigne une consultation de spécialiste qui prescrit et peut revoir son patient.
  • MPC désigne la majoration de 2 euros consentie aux spécialistes.
  • Le tarif des actes techniques varie selon une nomenclature qui est en train de changer. La valeur 100 utilisée dans le tableau est une valeur théorique de base permettant des comparaisons

Quelques conclusions se dégagent de la lecture de ce tableau :

Dans la démarche coordonnée, les coûts augmentent , aussi bien les dépenses qui restent à la charge des patients que, à une exception près, les remboursements de la Sécurité sociale.

Dans un cas précis cette augmentation est particulièrement sensible. Avant le protocole d’accord, quand vous consultiez occasionnellement un spécialiste, cela coûtait 25 euros, dont 17,5 à la charge de l’Assurance Maladie et 7,5 à votre charge. A la suite de l’accord, si le médecin traitant demande l’avis d’un spécialiste de secteur 1, cela coûtera : 20 euros pour le médecin traitant, 40 euros pour le spécialiste. Le spécialiste ne prescrivant pas, vous retournerez chez le médecin traitant et payerez 20 euros de plus. Au total, l’Assurance Maladie remboursera 13 + 27 + 13, soit 53 euros au lieu de 17,5. Resteront à votre charge : 7 + 13 + 7, soit 27 euros au lieu de 7,5. Sans commentaire !

2. Les spécialistes de secteur 2 n’ont aucun intérêt à entrer dans le processus coordonné. Les tarifs qui leur sont consentis dans ce cadre sont loin d’égaler les dépassements qu’ils pratiquent habituellement. Les patients qui consultent ces praticiens ont donc intérêt à passer par le médecin traitant, mais ces spécialistes de secteur 2 seront tentés, soit de ne pas adhérer au parcours coordonné ( ils n’y sont pas obligés ), soit de décourager les patients d’y recourir en recevant en priorité ceux qui viennent les consulter directement.

Pour les patients qui consultent directement un spécialiste, les remboursements de l’Assurance maladie sont à peine inférieurs à ceux qui sont effectués dans le parcours coordonné ( 16,10 ou 15,10 euros au lieu de 17,90 ). La différence va, pour l’essentiel dans la poche du spécialiste. Les usagers ont, dans ce cas, intérêt à recourir à des médecins de secteur 1 pour lesquels le dépassement est limité à 17,5% mais, dans certains secteurs, ils sont rares. Quant aux spécialistes de secteur 2, les dépassements qu’ils pratiquent en tout état de cause n’étant pas réglementés, ils ne pourront sans doute pas aller beaucoup plus loin.

Pour les usagers, même pour ceux qui auront lu attentivement ce texte, c’est de toute façon la bouteille à encre.

En conclusion, la logique de la procédure du médecin traitant concrétisée dans l’accord avec trois syndicats de spécialistes apparaît clairement. Loin de viser, comme le prétend le ministre, à réduire le déficit « colossal » de l’Assurance maladie, ces mesures visent à satisfaire les syndicats de médecins les plus « libéraux » qui veulent voir disparaître les « tarifs opposables », instrument-clé d’une Sécurité sociale solidaire. C’est un cadeau fait par le cardiologue Douste Blazy à ses collègues. Ces mesures visent également à transférer aux patients, donc à l’assurance privée pour ceux qui en auront les moyens, une part croissante des dépenses de santé. Les économies réalisées pour l’essentiel sur le dos des malades de longue durée et des bénéficiaires d’arrêts de travail ( dont le nombre pose problème, mais pour des raisons que l’on se garde bien d’examiner ), sont sans commune mesure avec le déficit que l’on prétend vouloir combler et qui reste béant.

Il reste à faire le point sur l’application de ces mesures. Comme on le sait, plusieurs syndicats de médecins généralistes s’y sont vivement opposés et les usagers, invités à remplir un formulaire désignant le médecin traitant de leur choix, se sont empressés d’attendre. Si bien que l’obligation de renvoyer ce bulletin, et donc de choisir un médecin traitant, pour le 1er juillet 2005 a été reportée au 1er janvier 2006. L’obligation de choisir un médecin traitant n’est donc toujours pas passée dans les faits et, à ma connaissance, aucun décret d’application n’a été publié. Il reste que les syndicats de médecins généralistes n’ont pas réussi à créer un front uni et que leurs membres, qui bloquaient dans leurs cabinets les formulaires de leurs patients, ont fini par les envoyer à la Sécurité sociale. Celle-ci triomphe actuellement, les deux tiers des formulaires auraient été renvoyés.

Par ailleurs, les caisses d’assurance maladie ont intégré dans leurs relevés de remboursement la mention du parcours coordonné. Quant à savoir comment sont appliqués les dépassements d’honoraires prévus dans l’accord, c’est le flou complet. Il serait urgent de faire une enquête à ce sujet, mais, d’une part il n’y a pas de trace de décrets d’application, d’autre part la complexité que révèle le tableau établi par le SMG permet difficilement aux usagers d’y voir clair.

Pour en revenir au forfait de 18 euros et à la nouvelle augmentation du forfait hospitalier, on voit clairement maintenant dans quelle perspective ils se situent. Il ne s’agit pas de réduire le déficit de la Sécurité sociale. Dans l’esprit de nos dirigeants, ce déficit ne sera comblé que quand la Sécurité sociale sera morte. Il s’agit donc de préparer cette mort en réduisant très progressivement et sans provoquer d’importants mouvements sociaux les remboursements effectués par l’Assurance maladie dont la charge est transférée à l’assurance individuelle. La culpabilisation des patients sert de prétexte fallacieux à ce transfert. Soyez responsables, payez !


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