A l’ordre du jour, nous avions quelques extraits d’un texte d’Armand Hatchuel et d’un autre de Cornélius Castoriadis.
HATCHUEL Armand
«~Du débat public à la conception collective : qu’est-ce qu’une expertise démocratique ?~».
Présentation de quelques idées essentielles du texte, croisées avec des notes sur ce sujet concernant l’auteur
1) L’idéal (N.B. : Hatchuel va travailler un « modèle ») démocratique pose la question du bon usage politique de l’expertise scientifique.
Selon lui, au moins sur toutes les questions de risques collectifs (santé, environnement, biotechnologies, peut-être plus…), il y a tout intérêt à passer « d’un paradigme de la décision à un paradigme de la conception … particulièrement utile à l’invention de pratiques démocratiques moins mécanistes et plus diverses ».
C’est donc le processus de conception collective qu’il s’agit d’analyser et de développer.
2) Il y a un modèle à rejeter : c’est le modèle colbertien, centralisé-technocratique oû, au mieux, le citoyen peut accepter ce qu’on a élaboré entièrement sans lui.
3) Le modèle du « débat public » (tel qu’organisé par la CNDP) : malgré toutes ses éventuelles vertus, procède au « découplage du processus de décision et du processus de délibération démocratique » (incertitude sur l’ influence que va avoir le débat) et à « des rapports très limités entre experts et public (ou citoyens) – ex: les experts ont cadré les choses dès le départ, au lieu que le débat génère des expertises multiples et diversement orientées.
4) Le modèle judiciaire ne convient pas ici et au « mode » politique en général : certes, le jury populaire tranche, mais seulement par oui ou par non en ayant été éclairé de façon contradictoire, et il effectue son choix dans des données (situations, acteurs, « rapports »…) déjà cadrées ; et surtout, en tranchant, il clôt les débats
5) « Un processus de conception n’a pas de début et de fin objective » … « car il s’alimente à de multiples généalogies de projets », on dira que la force citoyenne consiste dans l’irruption, à propos d’un problème ou d’un projet, de nouveaux aspects, restés dans l’ombre ; de nouveaux acteurs.
Dans le même esprit, il est dit que « le travail de conception collective implique une infinité non dénombrable de décisions ». Participation et contrôle relèvent d’une opération continue
Si on rajoute que la conception collective appliquée à la complexité de situations prises dans tous leurs aspects et dans leur globalité favorise « la prescription réciproque », c’est- à dire la demande (ou la nécessité) d’une complémentarité des recherches et savoirs entre citoyens « profanes » et experts, on aura une idée du modèle proposé :
« La logique de la participation démocratique n’est pas la clôture des choix, mais leur ouverture. Elle n’est pas la fabrication d’un consensus sur des solutions déjà formulées, mais plutôt la reconnaissance collective qu’il faut travailler, explorer, reconsidérer pour accroître à la fois l’efficacité et la solidarité collective. »
Conclusion : En prenant un peu de liberté avec la fin de l’article, on voit s’y dessiner une vision de l’action collective publique qui « resitue » l’expertise : non pas « faire entrer l’expertise en démocratie », ce qui est contradictoire dans les termes, mais viser à une expertise la plus ouverte et la plus pluraliste possible. Une instance de régulation (étatique ou autre) veillerait non seulement à la « bonne forme démocratique » du débat, mais à ce qu’il ne soit pas trop vite clôturé.
C’est beaucoup.
Reste que, dans un environnement social et idéologique plus large pèsent la disqualification du citoyen, de certaines catégories de citoyens et la confiance « trop vite accordée » aux experts.
Peut-on en faire l’économie ? N’ y a t-il à favoriser les conditions permettant de construire l’égalité pour participer ?
CASTORIADIS Cornélius – La cité et les lois, Paris, Seuil, 2008
Présentation de l’éditeur
Ce volume, où sont repris douze séminaires donnés en 1983-1984 par Cornelius Castoriadis à l’École des hautes études en sciences sociales, est pour l’essentiel consacré à la naissance, à la nature et au fonctionnement de la démocratie athénienne, et plus particulièrement à ce phénomène singulier que fut la démocratie directe telle que la pratiquèrent les Athéniens. Il montre comment ils surent mettre en question l’idée qu’il puisse y avoir une expertise particulière quant aux affaires de la cité; quelles furent les institutions qu’ils créèrent, et surtout la tragédie, pour imposer des limites à la démocratie; et les fins de cette société, telles qu’elles apparaissent dans l'” Oraison funèbre ” prononcée par Périclès chez Thucydide. Avec, en filigrane, une discussion d’auteurs anciens (Sophocle, Hérodote, Platon, Aristote) ou modernes (Rousseau, Arendt). On y verra à quel point reste actuelle la question de la participation de tous aux affaires communes: celle de la démocratie.
Compte-rendu de nos débats
Nous avons commenté quelques passages de cet ouvrage, en soulignant quelques idées :
1) p. 94 – 97
Le juge du technicien, de l’expert, est l’utilisateur de son produit, pas un autre expert ;
Il existerait même des experts en politique, spécialistes de l’universel !
Les individus qui montent dans un appareil bureaucratique sont les plus aptes … à monter ! et non pas à administrer.
2) p. 118 – 125
La démocratie est le régime qui réclame le plus de vigilance et de courage des citoyens ;
Il est important qu’existe un espace public, le droit pour tous de parler ;
Tout aussi important le courage de dire ce que l’on pense vraiment dans la véracité et la sincérité du discours ;
Castoriadis met en avant la notion de responsabilité et rappelle chez Rousseau le courage et la vigilance, et chez Platon la vergogne et la pudeur, comme exigences démocratiques ;
La liberté formelle n’est pas la liberté réelle ;
La pratique constante de la politique par tous en fait l’affaire de tous et inversement si elle n’est pratiquée que par quelques-uns, ce n’est plus la démocratie.
3) p. 178 – 181
Deux notions caractérisent, en Grèce, les rapports interpersonnels :
La philia est le lien entre citoyens, égaux, ce que le tyran doit éviter ;
L’eleos est l’empathie que l’on peut sentir, pour tous.
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